Par Stéphane Balas – Maître de conférence – CRF CNAM Métiers de la formation

Une évidence m’est venue récemment de manière inattendue, comme souvent avec les évidences, dans un train sans doute. Quand je travaille, je fais la plupart du temps ce que je ne sais pas faire. Plus précisément, je réalise des actions que je n’ai pas apprises, ni à l’école, ni de manière plus informelle, auprès de collègues, de supérieurs hiérarchiques ou autres. Souvent, je m’inspire de manières de faire que j’ai déjà testées ou que des proches ont tentées mais j’ai le sentiment de réinventer toujours, en situation, des méthodes, des techniques, pour répondre aux enjeux singuliers qui se présentent. C’est d’ailleurs ce que je fais aussi en écrivant ce billet. Jamais je n’ai appris à écrire un billet, même si l’école m’a appris à écrire…

Mais si travailler, c’est faire ce que l’on ne sait pas faire, ce que l’on n’a pas appris à faire, alors se pose au chercheur spécialiste de la formation professionnelle que je suis, la question de l’utilité de former les individus à un métier. Faut-il former le boucher à travers un CAP ou un bac pro ? Faut-il former le médecin ou le pilote de ligne avec les dispositifs universitaires actuels ?

Le bon sens nous impose de donner une réponse affirmative mais cela ne règle pas complétement la question.

Pourquoi faut-il se former alors que l’on ne fera pas ce que l’on a appris ? Sans doute parce « qu’avant de courir il faut apprendre à marcher » comme dit la formule populaire. Travailler en inventant (ou en s’imaginant inventer) une manière originale de faire ne repose pas sur rien. C’est parce que l’individu maîtrise les situations habituelles rencontrées dans son métier qu’il peut, sans risque, s’en écarter et développer son style personnel…

Ainsi, l’écart constaté habituellement entre « ce que l’on apprend à l’école et ce que l’on fait réellement ensuite » peut être considéré comme naturel. Il est la preuve que le travail, trop souvent confondu avec l’emploi, est souvent mal pensé, voire impensé, dans les formations dites « professionnelles ». Il est aussi la preuve que l’homme qui travaille invente et s’invente.

Dès lors, un bon dispositif de formation professionnelle permet la professionnalisation des individus en leurs donnant des outils de compréhension du métier, de ses règles communes et de son contexte. Ses outils sont alors des moyens d’émancipation, chacun devant, pour travailler, dépasser les règles et créer sa réponse singulière mais toujours habitée de la « culture » de son métier.